Même partir de chez mes parents pour avoir un appartement seule ne changea rien à ce que j'étais devenue, à vingt-et-un ans j'étais déjà cette peste manipulatrice et détestable. Cela ne s'est jamais arrangé apparemment. On frappa à la porte, je sortais rarement de ma salle dédiée à la danse, à la musique et au chant, une pièce insonorisée, alors les gens venaient me voir, car ils savaient que je ne sortais que pour peu de raisons: m'amuser, faire chanter quelqu'un, aller dépenser tout l'argent que mon friqué de père me donnait. Mais la plupart ignoraient pourquoi je ne sortais pas de chez moi. Certains, même presque tous, croyaient que je passais mon temps à élaborer des plans machiavéliques pour faire tomber quiconque se dresserait sur mon chemin. Chemin qui ne me mènerait jamais nulle part sinon à amener mon père à croire que j'étais bel et bien sa digne héritière. J'étais sa seule héritière de toute façon. En ouvrant la porte je fus très surprise, je m'attendais à voir Cece, ou quelqu'un d'autre mais ce fut une toute autre personne. Carl Grayson. Le premier fils de la famille Grayson, fils d'un employé de mon père, un homme modeste, ni riche, ni pauvre. Il ne m'aimait pas beaucoup, depuis toujours d'ailleurs. "Qu'est-ce que tu fiches ici toi ?" "Tu sors pas de chez toi, faut bien que je me débrouille pour te voir." "Me voir ? Depuis quand tu veux me voir ?" C'était quoi ces conneries encore ? il eut ce petit sourire que je connaissais bien, son frère avait le même, ce sourire qui veut dire "aller darling, adoucies-toi un peu", en clair, il avait besoin de moi, comme les trois quarts des gens qui me tournaient autour, l'argent, rien que ça.

Il y a les personnes que j'aide financièrement parce que je le veux vraiment, parce que ce sont mes amis, que je crois en eux, comme Cece par exemple. A vrai dire, elle est la seule. Je préfère tourmenter les autres, les menacer, qu'ils se voient au bord du suicide social, c'est tellement plus drôle. Tellement plus détestable. Tellement plus, comme mon père. Et c'est tout ce qu'il voulait de moi non ? Que je sois sa fille, du moins, sa vraie fille comme il aimait le dire. Et donc dans cette catégorie de personne, il y avait Carl Grayson, qui trois ans après réussissait très bien professionnellement mais qui préférait visiblement que je garde mes parts dans son entreprise. Moi je ne l'entendais pas de cette façon, du moins pour le moment ça m'allait, jusqu'à ce que je veuille décider de son avenir professionnel. Mais il y avait surtout une bonne raison à mon calme au vue de cette situation, son petit frère, Spencer. Spencer est en quelque sorte mon meilleur ami, mais il ne le saura jamais, je préfère garder ma carapace, comme avec tout le monde. Mais au fond, il est la seule personne capable de me calmer, capable d'arrêter la bombe comme il se complaît souvent à m'appeler. J'avais d'ailleurs rendez-vous avec lui au parc ce jour-ci. "Tu perds encore ton temps à ce que je vois." j'étais moi, il ne fallait pas trop m'en demander. A vrai dire, Spencer travaillait, il n'avait pas les moyens pour acheter un local et faire sa galerie, alors il travaillait, il prenait en photos des mannequins, des couples mariés, des enfants, tout ça pour des magasines ou des albums de famille, ça n'était pas ce qu'il préférait, mais la photo était sa passion et je le comprenais de vouloir en vivre. Moi j'aurais aimé l'aider à avoir sa galerie, mais il s'y refusait, sûrement parce qu'il voyait très bien ce que je faisais aux autres qui me demandaient mon aide. "Au moins moi je vis pas au crochet de mon père." ça c'était nous. Il me fit sourire, mais lorsqu'il tourna la tête pour me regarder je redevins cette statue de glace. Il était la seule personne capable de me faire ouvrir les yeux, mais je ne le laisserai jamais faire.